La France s'est engagée à atteindre la neutralité carbone d'ici 2050, un objectif ambitieux qui nécessite une transformation profonde de notre système énergétique. Cinq ans après le lancement de la Stratégie Nationale Bas-Carbone, où en sommes-nous réellement ? Notre enquête approfondie examine les progrès accomplis, les obstacles persistants et les solutions innovantes qui émergent dans les territoires.
Un bilan contrasté cinq ans après
Depuis 2020, la France a réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 18%, un chiffre encourageant mais encore insuffisant pour respecter la trajectoire fixée. Le secteur de l'énergie a connu les transformations les plus spectaculaires : la part des énergies renouvelables dans le mix électrique est passée de 23% à 35%, grâce notamment au développement de l'éolien et du solaire.
Mais ces progrès masquent des disparités importantes. Si la production d'électricité s'est largement décarbonée, les secteurs du transport et du bâtiment accusent un retard préoccupant. Les émissions liées au transport routier n'ont baissé que de 12%, bien en deçà des objectifs fixés.
"La transition énergétique ne se fera pas sans une mobilisation massive de tous les acteurs : État, collectivités, entreprises et citoyens. Nous devons accélérer, mais sans laisser personne au bord du chemin."
— François Verdier, président de l'Agence de la Transition Écologique
Les territoires, laboratoires de la transition
Lors de notre enquête de trois mois à travers la France, nous avons découvert de nombreuses initiatives locales prometteuses. À Loos-en-Gohelle, dans le Pas-de-Calais, cette ancienne ville minière s'est réinventée en territoire pilote de la transition énergétique. Ses habitants produisent désormais plus d'énergie qu'ils n'en consomment grâce à un mix de solaire, d'éolien et de biomasse.
Installation de panneaux solaires sur une ferme en Bretagne, mars 2025
En Bretagne, la coopérative énergétique Enercoop réunit 12 000 sociétaires qui investissent collectivement dans des projets d'énergie renouvelable. "C'est une révolution démocratique autant qu'énergétique", explique Camille Dupont, présidente de la coopérative. "Les citoyens reprennent le contrôle de leur énergie."
Le défi du financement
La transition énergétique représente un investissement colossal, estimé à 70 milliards d'euros par an d'ici 2030. L'État a mis en place plusieurs dispositifs de soutien : crédit d'impôt pour la rénovation énergétique, subventions pour l'installation de pompes à chaleur, prêts à taux zéro pour les véhicules électriques.
Mais ces aides restent insuffisantes et inégalement réparties. Les ménages les plus modestes peinent à profiter de ces dispositifs, faute d'avance de trésorerie. "On nous parle de rénover nos logements, mais quand on gagne 1 500 euros par mois, même avec les aides, c'est impossible", témoigne Martine, 62 ans, habitante de Roubaix.
L'innovation technologique, accélérateur de la transition
La France mise également sur l'innovation pour accélérer sa transition. Le programme France 2030 consacre 8 milliards d'euros aux technologies vertes. Plusieurs startups françaises se distinguent dans ce domaine :
- McPhy développe des solutions d'hydrogène vert pour décarboner l'industrie lourde
- Sweep aide les entreprises à mesurer et réduire leur empreinte carbone
- Lhyfe produit de l'hydrogène renouvelable en mer
- Verkor construit la première gigafactory française de batteries pour véhicules électriques
Station de recharge rapide pour véhicules électriques, région parisienne
Les zones d'ombre persistent
Malgré ces avancées, plusieurs défis majeurs subsistent. Le développement des énergies renouvelables se heurte à l'opposition croissante des riverains. Plus de 400 projets éoliens sont actuellement bloqués par des recours juridiques. "On ne peut pas imposer des éoliennes contre l'avis des habitants", estime Jacques Moreau, maire d'une commune rurale de l'Aisne. "Il faut repenser la gouvernance de ces projets."
La question du nucléaire divise également. Le gouvernement a annoncé la construction de six nouveaux réacteurs EPR, un choix contesté par les écologistes qui y voient un frein au développement des renouvelables. "Le nucléaire n'est pas une énergie d'avenir", affirme Léa Roussel, porte-parole de Greenpeace France. "On investit des milliards dans une technologie du passé au lieu de miser sur le solaire et l'éolien."
"La transition énergétique n'est pas qu'une question technique, c'est aussi un projet de société. Quel modèle voulons-nous pour demain ? Plus centralisé ou plus démocratique ? Plus sobre ou plus technologique ?"
— Barbara Pompili, ancienne ministre de la Transition écologique
2030 : un horizon déterminant
Les cinq prochaines années seront cruciales. La France doit accélérer drastiquement sa transition si elle veut atteindre ses objectifs : réduire de 55% ses émissions d'ici 2030 par rapport à 1990, porter la part des renouvelables à 40% de la consommation énergétique finale, et rénover 700 000 logements par an.
Ces objectifs sont-ils atteignables ? "Techniquement, oui", répond Corinne Le Quéré, climatologue et membre du Haut Conseil pour le Climat. "Mais cela exige une volonté politique sans faille et une mobilisation citoyenne sans précédent. Nous n'avons plus le droit à l'erreur."
Sur le terrain, citoyens, entrepreneurs et élus se mobilisent déjà. Ils expérimentent, innovent, réinventent leur rapport à l'énergie. Ces initiatives locales, si elles sont amplifiées et soutenues, pourraient bien tracer la voie vers une France neutre en carbone. L'avenir de notre planète se joue aussi dans ces territoires.